Cours La liberté religieuse face au principe de laïcité

Introduction

Au centre du fonctionnement démocratique français, la laïcité constitue un principe fondamental qui structure l’organisation de la vie publique. Il est inscrit dans l'article 1er de la Constitution : « La France est une République laïque […]. Elle respecte toutes les croyances. » Souvent débattue, parfois mal comprise, elle articule deux exigences complémentaires : la neutralité de l’État et le respect de la liberté religieuse de chacun.

Cette neutralité permet à tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances, de coexister pacifiquement. En assurant un traitement égal à toutes les religions, la laïcité rend possible un véritable pluralisme religieux, qui peut alors librement s’exprimer dans les limites fixées par la loi. Au nom de la laïcité, l’État organise l’expression des croyances dans l’espace public, au sein des administrations et des services publics tout en préservant cette diversité spirituelle indispensable à la cohésion démocratique.

Dans un premier temps, nous étudierons la mise en place du principe de laïcité au sein de la société française. Puis, dans un deuxième temps, nous analyserons les modalités d’encadrement de la liberté religieuse.

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Définition

Laïcité :
Principe selon lequel l’État est neutre en matière religieuse. Il garantit la liberté de conscience et de culte, permet à chacun de croire ou de ne pas croire, et interdit toute influence ou favoritisme religieux dans les institutions publiques.

Pluralisme religieux :
Coexistence, dans une même société, de plusieurs religions qui peuvent se pratiquer librement et respectueusement les unes des autres.

La mise en place du principe de laïcité en France

La laïcité telle que nous la connaissons et la vivons au quotidien est l’aboutissement d’un long cheminement historique, marqué par des tensions, des transformations politiques et une évolution progressive du rapport entre le pouvoir civil et les pratiques religieuses, de l’Ancien régime jusqu’à nos jours.

Les guerres de religion (1562-1598) divisent le royaume.

Au XVI siècle, la France est un royaume majoritairement catholique où le pouvoir royal cherche avant tout à maintenir l’unité religieuse du pays, considérée comme garante de la paix civile. Les guerres de religion marquent profondément le royaume, en persécutant les protestants et en ravageant les territoires pendant des décennies. Cette période s’achève en 1598 avec l’Édit de Nantes, par lequel Henri IV accorde aux protestants une reconnaissance officielle ainsi que la liberté de culte dans certaines villes du royaume. Cependant, la révocation de cet édit en 1685 par Louis XIV met brutalement fin à cette relative tolérance.

tableau-massacre-saint-barthelemy-francois-dubois Le Massacre de la Saint-Barthélemy, par François Dubois, vers 1572-1584. Ce tableau illustre le massacre de la Saint-Barthélemy à Paris, en 1572, au cœur des guerres de religion. Plusieurs milliers de protestants sont tués en quelques jours.

À la même époque, les populations juives vivent dans des conditions souvent précaires. Interdits de séjour à Paris par l’édit de 1394, ils s’y installent néanmoins sous contrôle policier. En Alsace et en Lorraine, ils paient des taxes élevées liées à leur religion et doivent se limiter à certains métiers comme colporteurs ou prêteurs. Dans certaines régions, les juifs font l'objet de nombreuses persécutions, notamment dans l’accès à la justice.

La Révolution française reconnaît la liberté religieuse.

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Attention

La liberté religieuse comprend deux dimensions essentielles  :

  • la liberté de conscience, qui garantit à chacun le droit de croire, de ne pas croire, de douter ou de changer de conviction sans subir de pression ni de sanction ;
  • la liberté de culte, qui permet d’exprimer ses croyances individuellement ou collectivement, par la pratique, les rites ou les cérémonies, dans le respect de l’ordre public.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 place l’être humain au centre de l’ordre politique. Elle reconnaît notamment la liberté de conscience et la liberté de culte comme des libertés fondamentales.

Son article 10 proclame que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ». Cette affirmation marque un tournant décisif : elle pose les bases du principe moderne selon lequel chacun est libre de croire, sans que l’État puisse imposer ou privilégier une religion.

Le concordat de 1801, qui correspond à un accord signé entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII, réorganise en profondeur la gestion des affaires religieuses en France après les bouleversements de la Révolution. L’État reconnaît le catholicisme comme la religion de la majorité des Français, tout en affirmant son contrôle sur la nomination des évêques et l’administration des cultes. Les responsables des religions reconnues (catholique, luthérienne, réformée et juive) sont rémunérés par l’État, ce qui inscrit les cultes dans un cadre administratif strict. Ce système vise à garantir la paix religieuse et à renforcer l’autorité politique du régime.

La loi de 1905 consacre le principe le laïcité.

La loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État est adoptée sous l’impulsion d’une large majorité républicaine, portée notamment par Jean Jaurès et Aristide Briand. Elle met fin au concordat de 1801.

Son article 1 garantit la liberté de conscience ainsi que le libre exercice des cultes, reconnaissant à chacun le droit de croire, de ne pas croire et de pratiquer la religion de son choix.

L’article 2 stipule que la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Cela implique que l’État ne finance aucune religion, qu’aucune confession n’a de statut officiel et que chaque citoyen reste entièrement libre dans sa pratique religieuse.

page-1-loi-separation-eglises-etat-1905 Loi de séparation des Églises et de l’État (page 1). Document parlementaire - Archives nationales

L’un des principes essentiels de la laïcité est la neutralité religieuse de l’État, qui garantit son impartialité dans la gestion des affaires publiques et protège l’égalité de tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions. C’est pourquoi la loi de 1905 interdit l’affichage de symboles religieux sur les bâtiments publics (article 28).

Cette neutralité s’applique dans tous les services publics : écoles, services des impôts, hôpitaux, tribunaux, etc.

Toutefois, dans certaines écoles publiques d’Alsace et de Moselle, les salles de classe peuvent encore afficher un crucifix contrairement au reste de la France. Cette exception s’explique par l’histoire. En 1905, lors de l’adoption de la loi sur la séparation des Églises et de l’État, l’Alsace et la Moselle étaient allemandes depuis 1871. Elles n’ont donc pas été soumises à la loi française. Lorsque les territoires redeviennent français en 1918, le concordat de 1801 reste en vigueur, formant un régime religieux spécifique toujours appliqué aujourd’hui.

Les fonctionnaires et agents publics incarnent au quotidien le principe de neutralité lié à la laïcité. Ils ne doivent en aucun cas favoriser une religion par rapport à une autre. Ils n’ont pas le droit, durant l’exercice de leurs fonctions, de manifester leurs convictions religieuses, que ce soit par des signes ostensibles, par des tenues vestimentaires ou par du prosélytisme.

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Exemple

Un agent hospitalier ne peut porter de signe religieux visible lorsqu’il travaille. Par contre, un patient conserve pleinement ce droit, car il n’est pas soumis au devoir de neutralité.

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Définition

Prosélytisme :
Actions visant à convaincre autrui d’adopter une croyance ou une pratique religieuse.

Laïcité et pluralisme religieux

La mise en œuvre de la loi de 1905 ne s’oppose pas au respect de la liberté religieuse, bien au contraire. Cela garantit que chaque personne puisse vivre ses convictions dans un environnement respectueux et protecteur. Grâce à cette loi, le pluralisme religieux s’exprime pleinement en France. Le pays autorise et respecte toutes les croyances (catholicisme, protestantisme, judaïsme, islam, bouddhisme, hindouisme…) mais aussi des convictions non religieuses comme l’athéisme et l’agnosticisme. Cette coexistence, permise, protégée et garantie par la loi de 1905, donne à voir la richesse culturelle et spirituelle de la société française.

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Définition

Athéisme :
Croyance en la non-existence de Dieu et de toute forme de divinité.

Agnosticisme :
Position selon laquelle l’existence de Dieu est inconnue ou inconnaissable. Les agnostiques refusent d’affirmer ou de nier toute croyance religieuse.

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À retenir

L’inscription du principe de laïcité dans la loi résulte d’une longue évolution, depuis les guerres de religion jusqu’à la Révolution, qui reconnaît et garantit les libertés de conscience et de culte, puis au concordat de 1801, qui organise les cultes sous contrôle étatique. Ensuite, la loi de 1905 consacre la séparation des Églises et de l'État, la neutralité de l’État et la liberté religieuse, permettant aujourd’hui un pluralisme où toutes les croyances religieuses coexistent dans un cadre commun. En somme, la laïcité n’impose aucune croyance, n’en interdit aucune, protège la liberté de changer de religion et assure un espace ouvert au dialogue et à l’échange entre les religions.

Encadrer la liberté religieuse pour faire société

La liberté religieuse est protégée par la loi et garantie par la Constitution. Toutefois, pour maintenir l’ordre public, garantir l’égalité entre les citoyens et préserver la cohésion sociale, les pouvoirs publics ainsi que la police, la gendarmerie et la justice doivent en permanence veiller à concilier deux exigences : d’un côté, le respect des croyances religieuses, et de l’autre, la préservation des conditions nécessaires au vivre-ensemble.

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Définition

Ordre public :
Ensemble des règles assurant la sécurité, la paix, la propreté et la santé dans une société.

La police des cultes

Créée par la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État, la police des cultes regroupe l’ensemble des règles permettant à l’État de garantir que l’exercice des religions et l’utilisation des lieux de culte s’effectuent dans le respect des lois et de l’ordre public.

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Exemple

  • Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte.

  • Il est aussi interdit d’y afficher, d’y distribuer ou d’y diffuser des messages à caractère électoral et d’organiser des opérations de vote pour des élections politiques françaises ou étrangères.

  • Un responsable religieux n’a pas le droit d’appeler les fidèles à contrevenir aux lois de la République, à s’opposer aux décisions de l’autorité publique ou à provoquer un trouble à l’ordre public.

Les infractions visées par ces interdictions sont aujourd’hui punies par la loi d’une amende pouvant aller jusqu’à 75 000 euros ainsi que d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans. Cette loi protège ainsi directement la paix sociale.

Encadrer le port de signes religieux à l’école et dans l’espace public

La loi du 15 mars 2004 encadre la manifestation des appartenances religieuses au sein de l’école publique, afin d’y garantir un environnement neutre et égalitaire. Elle interdit dans les écoles primaires, collèges et lycées publics le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves « manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » tels que le voile islamique, la kippa, les croix chrétiennes visibles ou encore le turban sikh.

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Attention

Que signifie « manifester ostensiblement une appartenance religieuse » ?

Par cette expression, la loi désigne les signes et tenues suffisamment visibles, clairs et immédiatement repérables faisant référence, non pas à une pratique culturelle, mais à une religion particulière.

Cette mesure poursuit plusieurs objectifs :

  • assurer l’égalité de traitement entre les élèves ;
  • éviter les tensions liées aux questions religieuses ;
  • maintenir un cadre scolaire serein fondé sur le respect mutuel ;
  • garantir la neutralité de l’école.

La loi du 11 octobre 2010 interdit la dissimulation du visage dans l’espace public. Cette interdiction concerne notamment le port du voile intégral, mais aussi toute tenue recouvrant entièrement le visage, comme certains casques de moto ou cagoules. La loi cible plus largement toute dissimulation du visage pouvant empêcher l’identification d’une personne, notamment par les forces de l’ordre en cas de contrôle.

La charte de la laïcité

La charte de la laïcité a été rédigée en 2013 pour rappeler les principes de neutralité et de respect des croyances dans les écoles publiques. Elle affirme clairement que l’institution scolaire, ses personnels et ses enseignements doivent rester neutres et impartiaux dans toutes les questions touchant aux convictions religieuses. Elle précise également que l’ensemble des enseignements s’adresse à tous les élèves de la même manière, sans distinction de religion, et qu’aucune croyance ne peut justifier une exemption, une adaptation ou une contestation des programmes fixés par l’Éducation nationale.

charte-laicite-ecole Charte de la laïcité à l’école, mise en place en 2013 ©ministère de l’Éducation nationale

La charte de la laïcité doit être affichée dans chaque salle de classe des écoles publiques afin que tous les élèves soient informés de son contenu, garantissant un environnement scolaire neutre, respectueux et exempt de toute pression religieuse.

Les questions religieuses face à la jurisprudence européenne

Le pluralisme religieux dans l'Union européenne est protégé par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), signée à Rome en 1950. Il garantit la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion, individuellement ou collectivement. Cette protection constitue un socle fondamental pour assurer le respect des convictions personnelles et la diversité des pratiques religieuses.

La CEDH rappelle également que les libertés religieuses ne sont pas absolues. Elles peuvent être limitées afin d’encadrer certaines pratiques ou certains comportements. Ces restrictions doivent être proportionnées et viser un objectif légitime comme assurer la sécurité, protéger l’ordre public ou garantir les droits et libertés des autres citoyens.

Dans ce cadre, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît la spécificité du modèle français de laïcité, qui découle de son histoire marquée par des conflits et l’instauration de la loi de 1905. Sollicitée par des citoyens à propos de la loi interdisant le port de signes religieux dans les écoles (2004) et de la loi interdisant le port du voile intégral dans l’espace public (2010), la Cour a reconnu la validité de ces deux textes juridiques. Elle a estimé que la France poursuivait un objectif légitime de protection de l’ordre public et de préservation des conditions du vivre-ensemble sans compromettre les libertés religieuses des citoyens.

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Rappel

La Cour européenne des droits de l’homme est créée en 1959 pour faire respecter la Convention européenne des droits de l’homme, signée en 1950 et entrée en vigueur en 1953. Son siège se situe à Strasbourg. Depuis 1998, La Cour européenne des droits de l’homme peut être saisie directement par les particuliers. Elle joue un rôle central dans la protection des droits et libertés fondamentales dans l’Union européenne.

logo-cour-europeenne-droits-homme Logo de la Cour européenne des droits de l'homme - Marque déposée

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Exemple

Une citoyenne française a contesté devant la Cour européenne des droits de l’homme la légitimité de la loi sur le port du voile intégral, estimant qu’elle portait atteinte à sa liberté religieuse et à sa vie privée.

En 2014, la Cour a confirmé la légalité de cette interdiction, considérant que la loi poursuivait un objectif légitime : garantir la sécurité publique, protéger la dignité humaine et favoriser le vivre-ensemble. Elle juge que la restriction est proportionnée et compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme signée par la France.

Cette jurisprudence européenne souligne ainsi l’équilibre délicat entre liberté religieuse et vivre-ensemble. Elle rappelle que la liberté de manifester sa religion n’autorise pas toutes les pratiques ni tous les comportements, notamment lorsqu’ils sont susceptibles de perturber l’ordre public.

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Définition

Jurisprudence :
Ensemble des décisions rendues par les tribunaux sur une question de droit, qui sert ensuite de référence pour interpréter la loi et guider les juges dans leur prise de décision sur des cas similaires.

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À retenir

La liberté religieuse est garantie par la loi, mais l’État doit la concilier avec le maintien de l’ordre public et le respect des libertés fondamentales. La police des cultes et la justice contrôlent l’utilisation des lieux de culte et sanctionnent au besoin. Enfin, la jurisprudence européenne admet des restrictions aux libertés religieuses au nom du principe de laïcité lorsqu’elles sont justifiées et proportionnées.

Conclusion

Le principe de laïcité permet de concilier liberté religieuse et cohésion sociale. Il garantit à chacun le droit de croire ou de ne pas croire, tout en imposant des limites nécessaires pour protéger l’ordre public et les droits d’autrui.

Comprendre la laïcité, ce n’est donc pas choisir entre liberté et interdiction : c’est saisir l’équilibre essentiel entre le respect des convictions de chacun et la préservation d’un espace commun, ouvert et démocratique. Cet équilibre permet à la République française de garantir, aujourd’hui encore, la coexistence harmonieuse d’une grande diversité de croyances.